par Derek
Rishmawy
Derek Rishmawy explique comment la théologie évangélique populaire sur les Arabes est en contradiction avec l’Évangile.
Le
11 Septembre 2001 était un jour bizarre pour moi. J’étais
étudiant en deuxième année à l’université à l’époque et je
me souviens m’être dit: « Oh mon Dieu, j’espère que ce n’était
pas des Arabes», dès que j’ai entendu dire qu’un avion s’était
écrasé dans la première tour. Je suis à 3/4 palestinien et
parfois avec une teinte distinctement arabe en moi. Mon nom de
famille est Rishmawy.
Il
est vrai que c’était une pensée égoïste, mais je ne pensais pas
ce que cela irait bien pour moi après cela à l’université. Et
j’avais raison.
Cet
après-midi-là, durant l’entrainement de football, après avoir
découvert que j’étais d’origine arabe, un « Palestilien»,
selon un linguiste instruit de l’équipe, un de mes coéquipiers a
pris sur lui de me faire un lancer dans le dos par deux fois. Pour
ceux d’entre vous qui n’avez jamais pratiqué ce sport, ce genre
de chose fait mal. Heureusement, mon entraîneur nous a rapidement
rejoint et mis un terme à cela. Pourtant, durant les quelques années
suivantes, j’ai été affectueusement appelé «le râton-laveur de
dune », « le nègre de sable», «le Taliban», «Oussama», et
ainsi de suite, par une bonne partie de mes coéquipiers et amis. Eh
oui, je dis bien « affectueusement ». Ils avaient tort, et je ne le
méritais pas vraiment, mais pour une certaine raison les insultes
raciales étaient un moyen de communication dans le vestiaire.
Pourtant, cela m’a agacé à certains moments.
Aussi frustrant et gênant que cela pouvait parfois constituer d’être un étudiant Arabe dans l’Amérique post-9/11- étant donné les préjugés ordinaires, les craintes et l’ignorance – aucune de ces insultes ne m’a frustré autant que certains de mes frères et sœurs évangéliques bien intentionnés, de par ce qu’impliquait leur ignorance: que moi et mon héritage ethnique « dans sa totalité » étions une erreur d’Abraham, une malheureuse erreur pour être exact.
Anatomie
d’une erreur: Ismaël l’Arabe
La
première fois que j’ai été frappé par cette pensée, je
travaillais au comptoir dans un gymnase de l’université. À
l’époque, beaucoup d’habitués savaient que j’étais un
chrétien et un certain nombre étaient eux-mêmes des chrétiens,
nous discutions donc parfois sur la foi, la vie et la Bible. Au cours
d’une de ces discussions, le sujet de la fin des temps et du
conflit au Moyen-Orient est arrivé et un frère charmant et bien
intentionné a dit quelque chose du genre: « Ouais, sans l’erreur
d’Abraham avec Ismaël, toute cette affaire aurait pu être évitée.
« Je voudrais pouvoir dire que c’était la seule fois que j’avais
entendu quelque chose dans cette veine, mais ce n’était pas le
cas. En fait, vous pouvez entendre la même chose implicite dans les
églises le dimanche, dans les études bibliques, et sur les blogs
bibliques de prophétie de second ordre.
Pour
ceux d’entre vous qui ne connaissent pas la référence d’
»Ismael », il est mentionné comme l’enfant premier-né d’Abraham
par Agar sa concubine. L’histoire raconte que Abraham et Sarah
s’impatientaient sur l’enfant de la promesse de Dieu, celui par
qui Dieu a voulu faire d’Abraham une grande nation, donc ils
pensaient lui venir en aide en faisant faire à Abraham un enfant par
Agar, la servante Égyptienne de Sarah (Genèse 16). Cela a causé
quelques problèmes familiaux qui ont conduit Abraham, sous une
certaine pression de Sarah, à renvoyer Agar et Ismaël (Genèse 16,
17, 21). C’est une autre de ces histoires de valeurs familiales
saines qui rendent le livre de la Genèse si édifiante.
Qu’est
ce que tout cela a à voir avec le Moyen-Orient? Eh bien, dans sa
fidélité, Dieu promet à Abraham que, bien qu’Ismaël n’est pas
l’enfant de la promesse, cela ne signifie pas qu’il ne sera pas
béni. En effet, Il le bénit, et fait de lui le père de beaucoup de
nations, « 12″ princes pour être exact (Genèse 17:19-21; 21:18;
25:12-18). Dans les traditions juive, chrétienne et musulmane,
Ismaël devient le père des Arabes d’aujourd’hui avec des
significations différentes attachées à cette revendication. Par
exemple, il est fréquent que les Arabes musulmans revendiquent
Ismaël comme leur ancêtre et l’héritier d’origine de
l’alliance en lieu et place d’Isaac, faisant d’eux les
héritiers de la Terre Sainte. En effet, pour une grande part, dans
l’imagination populaire chrétienne, ceci se trouve à la racine du
conflit au Moyen-Orient, le conflit entre les allégations erronées
des musulmans sur la Terre Sainte et la promesse irrévocable par
Dieu de la terre à Israël.
Selon
mon frère bien intentionné du gymnase et ceux qu’il représente,
tout ce conflit au Moyen-Orient aurait pu être évité si Abraham
avait été patient et n’avait pas engendré Ismaël et ainsi les
Arabes n’auraient jamais existé.
Super…
Merci les gars.
La
vision plus large
Bien
entendu, cette remarque doit être mise en regard de l’ensemble du
tableau post-9/11 de crainte généralisée envers les Arabes
musulmans, et un niveau populaire répandu de dispensationalisme qui
y contribue, il ne s’agit pas d’une détestation bien sûr, mais
une sorte d’ambivalence théologiquement imbriquée envers les
Palestiniens et Arabes compris comme un seul groupe de personnes.
Cette ambivalence se décline selon une gamme, à commencer par
l’ignorance totale de l’existence des chrétiens palestiniens,
comme moi (le choc que j’ai rencontré dans certaines églises
quand quelqu’un découvrait que je suis un Palestinien et un
chrétien, peut être pathétiquement humoristique). Ou des
évangéliques américains ayant tendance à s’identifier davantage
à des Israéliens qu’à une population chrétienne en nette
diminution et vivant encore dans la misère en Cisjordanie. Ou pire,
de les voir comme ce groupe de personnes maudissant Israël choisi par Dieu. Je connais un pasteur local du comté d’Orange, qui accueille
des conférences «prophétiques» bien fréquentées qui, dans le
cadre de la mobilisation de soutien pour Israël, s’engage
régulièrement dans ce qui équivaut à semer la peur des
terroristes palestiniens / musulmans et des scénarios de la fin des
temps (c’est ici que le dispensationalisme populaire entre en jeu).
Rien
de tout cela ne doit être pris comme une certaine amertume, de
l’anti-sionisme ou une critique furtive d’un soutien prudent pour
Israël. J’ai grandi décemment comme un conservateur et donc je
sais un peu la logique complexe qui est à l’œuvre, c’est un
légitime débat que les gens peuvent avoir. Encore une fois, je
tiens tout simplement à rappeler à certains le contexte plus large
dans lequel ce genre de remarques sont faites, dont la plupart font
jouer d’une façon générale le mauvais rôle aux Palestiniens et
aux Arabes.
Alors
qu’est-ce qui ne va pas avec cette vision d’ensemble et le
commentaire sur Ismaël en général? Eh bien, en laissant de côté
les diverses raisons techniques de douter de la simple identification
des Arabes avec Ismaël (biblique, généalogique, géographique et
historique), et les racines du conflit au Moyen-Orient, le principal
problème est que ce genre de commentaire trahit une théologie
sérieusement bâclée dans au moins deux manières:
1.
La Providence de Dieu.
Tout
d’abord, il s’agit d’une vue déficiente de la souverainté
providentielle du Dieu de l’histoire. Aussi remarquable que cela
puisse paraître, la main de Dieu n’est jamais loin de tout
événement dans l’histoire humaine. Jésus déclare que le nombre
de cheveux sur la tête d’une personne sont numérotés (Luc 12:7)
et qu’un moineau ne tombe pas au sol sans le consentement de Dieu.
La sagesse de l’Ancien Testament vient nous rappeler que vous
pourriez lancer les dés à Las Vegas, qu’ils atterriraient là où
Dieu le déterminerait (Prov. 16:33). Vos parents pourraient avoir
décidé de s’installer dans le quartier où vous avez grandi étant
enfant, mais comme Paul l’a dit aux Athéniens: vous êtes arrivés
là parce que Dieu l’avait prévu comme devant être l’endroit le
lieu et le temps pour vous permettre de vivre et de tendre la main
vers lui pour le trouver comme source de votre vie. Ce n’est pas un
déni de responsabilité de l’homme ou des contingences de
l’histoire, mais un rappel que, dans la pensée biblique, la
contingence et la liberté sont en définitive des réalités qui
sont défendues, soutenues et régies par la main paternelle de Dieu.
Le point important est que Dieu n’était pas plus pris au dépourvu
par la naissance d’Ismaël que par Isaac. Isaac est l’enfant de
la promesse, mais Ismaël n’était pas un accident. La plupart des
«pro-vie» évangéliques (contre l’avortement) s’opposerait à
la pensée qu’un enfant soit un accident, une erreur imprévue.
Dans la souveraineté du Dieu de l’histoire, aucun enfant ne doit
être considéré comme un accident, combien moins tout un peuple
entier !
2.
Les desseins de Dieu.
Ce
genre de sentiment trahit également une vue faible de l’intention
de Dieu de bénir tous les peuples à travers Abraham. L’appel
originel de Dieu à Abraham dans la Genèse culmine dans la promesse
de bénir Abraham de telle manière que, grâce à lui toutes les
familles de la terre seraient bénies (Genèse 12:3). Dieu renouvelle
sa promesse en divers endroits, en particulier dans son alliance avec
Abraham et sa descendance, ou la descendance (Genèse 15:18). Paul
reprend cette promesse dans son argumentation dans Galates et montre
que son accomplissement ultime est venu dans le Christ, la vraie
postérité d’Abraham, l’Israël fidèle par qui les bénédictions
de l’alliance viendraient au monde entier (Gal. 3:15-29 ).
L’intention de Dieu dans l’élection d’Israël a toujours été
la bénédiction des nations et le salut du monde. Les Arabes,
descendants d’Ismaël ou non, constituent une partie de cette vaste
foule de «toutes les familles de la terre» que Dieu a voulu bénir
par le Christ. « Tous » signifie vraiment « tous » ici. Si, par
la foi, un Arabe ou un Palestinien est uni au Christ, puis dans le
corps du Christ, ils « sont la descendance d’Abraham, héritiers
selon la promesse » (Gal. 3:29) dans le vrai sens du terme, car «il
n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il
n’y a pas ni homme ni femme, car vous êtes tous un dans le Christ
Jésus» (Gal. 3:28).
Au
festin des noces de l’Agneau, lorsque les membres de chaque «tribu,
langue et nation» (Apocalypse 5:9; 7:9) se réuniront pour chanter
les louanges du Roi, ceux rachetés d’entre les peuples arabes,
descendants d’Ismaël ou non, se joindront à la même chanson,
donnant gloire à Jésus d’une manière qui s’appuient sur la
particularité de leur origine ethnique et raciale d’Arabes et de
Palestiniens. La ligne de fond est que la pensée de tout un groupe
de personnes, l’une des familles de la terre, compris
principalement comme un obstacle à la paix, plutôt que comme un
objet de l’amour réconciliateur de Dieu en Christ est une vue
sous-chrétienne du dessein de Dieu pour les nations dans le drame de
la rédemption.
Je
sais que je n’ai fait que gratter la surface d’une question
complexe. L’enchevêtrement de l’ethnicité, la politique du
Moyen-Orient et de l’eschatologie dans l’évangélisme américain
ne sera pas facile à résoudre. Ce qui me préoccupe, et doit vous
préoccuper est de savoir si nous, dans l’Église avons le zèle
approprié pour porter l’Évangile, en paroles et en actes, à
toutes les nations et tous les peuples. Voyons-nous les gens comme
des héritiers potentiels d’Abraham, comme le veut le Christ? Même
les héritiers présumés d’Ismaël? Dans les générations
passées, dans différentes parties du monde, l’Église a oublié,
exclu ou considéré différents groupes ethniques ou culturels comme
étant au-delà de la portée de l’Évangile. Cela ne doit pas être
le cas avec nos voisins arabes et palestiniens aujourd’hui.
Je
suppose que ce que j’essaie de dire, c’est en fin de compte, en
tant que chrétien Palestinien, je ne suis pas une erreur d’Abraham:
Je suis le choix de Dieu dans le Christ.
Soli
Deo Gloria
Traduit par Colibri.
DerekRishmawy is the Director of College and Young Adult ministries at Trinity
United Presbyterian Church in Orange County, CA, where he wrangles
college kids for the gospel. (Think non-ordained college pastor). He
is the blessed husband of a lovely lady named McKenna. He got his
B.A. in Philosophy at UCI and his M.A. in Theological Studies
(Biblical Studies) at APU. He loves Jesus and more importantly Jesus
loves Him. Throw in too many theological tomes, coffee, craft beer,
loud music, a beard, and a picture (not necessarily a pretty one)
starts to emerge.
You
can go read his stuff at the Reformedish blog : http://derekzrishmawy.com
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