vendredi 8 mars 2013

Je ne suis pas le résultat d’une erreur d’Abraham

par Derek Rishmawy



Derek Rishmawy explique comment la théologie évangélique populaire sur les Arabes est en contradiction avec l’Évangile.

Le 11 Septembre 2001 était un jour bizarre pour moi. J’étais étudiant en deuxième année à l’université à l’époque et je me souviens m’être dit: « Oh mon Dieu, j’espère que ce n’était pas des Arabes», dès que j’ai entendu dire qu’un avion s’était écrasé dans la première tour. Je suis à 3/4 palestinien et parfois avec une teinte distinctement arabe en moi. Mon nom de famille est Rishmawy.

Il est vrai que c’était une pensée égoïste, mais je ne pensais pas ce que cela irait bien pour moi après cela à l’université. Et j’avais raison.

Cet après-midi-là, durant l’entrainement de football, après avoir découvert que j’étais d’origine arabe, un « Palestilien», selon un linguiste instruit de l’équipe, un de mes coéquipiers a pris sur lui de me faire un lancer dans le dos par deux fois. Pour ceux d’entre vous qui n’avez jamais pratiqué ce sport, ce genre de chose fait mal. Heureusement, mon entraîneur nous a rapidement rejoint et mis un terme à cela. Pourtant, durant les quelques années suivantes, j’ai été affectueusement appelé «le râton-laveur de dune », « le nègre de sable», «le Taliban», «Oussama», et ainsi de suite, par une bonne partie de mes coéquipiers et amis. Eh oui, je dis bien « affectueusement ». Ils avaient tort, et je ne le méritais pas vraiment, mais pour une certaine raison les insultes raciales étaient un moyen de communication dans le vestiaire. Pourtant, cela m’a agacé à certains moments.
 
Aussi frustrant et gênant que cela pouvait parfois constituer d’être un étudiant Arabe dans l’Amérique post-9/11- étant donné les préjugés ordinaires, les craintes et l’ignorance – aucune de ces insultes ne m’a frustré autant que certains de mes frères et sœurs évangéliques bien intentionnés, de par ce qu’impliquait leur ignorance: que moi et mon héritage ethnique « dans sa totalité » étions une erreur d’Abraham, une malheureuse erreur pour être exact.


Anatomie d’une erreur: Ismaël l’Arabe

La première fois que j’ai été frappé par cette pensée, je travaillais au comptoir dans un gymnase de l’université. À l’époque, beaucoup d’habitués savaient que j’étais un chrétien et un certain nombre étaient eux-mêmes des chrétiens, nous discutions donc parfois sur la foi, la vie et la Bible. Au cours d’une de ces discussions, le sujet de la fin des temps et du conflit au Moyen-Orient est arrivé et un frère charmant et bien intentionné a dit quelque chose du genre: « Ouais, sans l’erreur d’Abraham avec Ismaël, toute cette affaire aurait pu être évitée. « Je voudrais pouvoir dire que c’était la seule fois que j’avais entendu quelque chose dans cette veine, mais ce n’était pas le cas. En fait, vous pouvez entendre la même chose implicite dans les églises le dimanche, dans les études bibliques, et sur les blogs bibliques de prophétie de second ordre.


Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas la référence d’ »Ismael », il est mentionné comme l’enfant premier-né d’Abraham par Agar sa concubine. L’histoire raconte que Abraham et Sarah s’impatientaient sur l’enfant de la promesse de Dieu, celui par qui Dieu a voulu faire d’Abraham une grande nation, donc ils pensaient lui venir en aide en faisant faire à Abraham un enfant par Agar, la servante Égyptienne de Sarah (Genèse 16). Cela a causé quelques problèmes familiaux qui ont conduit Abraham, sous une certaine pression de Sarah, à renvoyer Agar et Ismaël (Genèse 16, 17, 21). C’est une autre de ces histoires de valeurs familiales saines qui rendent le livre de la Genèse si édifiante.

Qu’est ce que tout cela a à voir avec le Moyen-Orient? Eh bien, dans sa fidélité, Dieu promet à Abraham que, bien qu’Ismaël n’est pas l’enfant de la promesse, cela ne signifie pas qu’il ne sera pas béni. En effet, Il le bénit, et fait de lui le père de beaucoup de nations, « 12″ princes pour être exact (Genèse 17:19-21; 21:18; 25:12-18). Dans les traditions juive, chrétienne et musulmane, Ismaël devient le père des Arabes d’aujourd’hui avec des significations différentes attachées à cette revendication. Par exemple, il est fréquent que les Arabes musulmans revendiquent Ismaël comme leur ancêtre et l’héritier d’origine de l’alliance en lieu et place d’Isaac, faisant d’eux les héritiers de la Terre Sainte. En effet, pour une grande part, dans l’imagination populaire chrétienne, ceci se trouve à la racine du conflit au Moyen-Orient, le conflit entre les allégations erronées des musulmans sur la Terre Sainte et la promesse irrévocable par Dieu de la terre à Israël.

Selon mon frère bien intentionné du gymnase et ceux qu’il représente, tout ce conflit au Moyen-Orient aurait pu être évité si Abraham avait été patient et n’avait pas engendré Ismaël et ainsi les Arabes n’auraient jamais existé.

Super… Merci les gars.


La vision plus large

Bien entendu, cette remarque doit être mise en regard de l’ensemble du tableau post-9/11 de crainte généralisée envers les Arabes musulmans, et un niveau populaire répandu de dispensationalisme qui y contribue, il ne s’agit pas d’une détestation bien sûr, mais une sorte d’ambivalence théologiquement imbriquée envers les Palestiniens et Arabes compris comme un seul groupe de personnes. Cette ambivalence se décline selon une gamme, à commencer par l’ignorance totale de l’existence des chrétiens palestiniens, comme moi (le choc que j’ai rencontré dans certaines églises quand quelqu’un découvrait que je suis un Palestinien et un chrétien, peut être pathétiquement humoristique). Ou des évangéliques américains ayant tendance à s’identifier davantage à des Israéliens qu’à une population chrétienne en nette diminution et vivant encore dans la misère en Cisjordanie. Ou pire, de les voir comme ce groupe de personnes maudissant Israël choisi par Dieu.  Je connais un pasteur local du comté d’Orange, qui accueille des conférences «prophétiques» bien fréquentées qui, dans le cadre de la mobilisation de soutien pour Israël, s’engage régulièrement dans ce qui équivaut à semer la peur des terroristes palestiniens / musulmans et des scénarios de la fin des temps (c’est ici que le dispensationalisme populaire entre en jeu).

Rien de tout cela ne doit être pris comme une certaine amertume, de l’anti-sionisme ou une critique furtive d’un soutien prudent pour Israël. J’ai grandi décemment comme un conservateur et donc je sais un peu la logique complexe qui est à l’œuvre, c’est un légitime débat que les gens peuvent avoir. Encore une fois, je tiens tout simplement à rappeler à certains le contexte plus large dans lequel ce genre de remarques sont faites, dont la plupart font jouer d’une façon générale le mauvais rôle aux Palestiniens et aux Arabes.

Alors qu’est-ce qui ne va pas avec cette vision d’ensemble et le commentaire sur Ismaël en général? Eh bien, en laissant de côté les diverses raisons techniques de douter de la simple identification des Arabes avec Ismaël (biblique, généalogique, géographique et historique), et les racines du conflit au Moyen-Orient, le principal problème est que ce genre de commentaire trahit une théologie sérieusement bâclée dans au moins deux manières:


1. La Providence de Dieu.

Tout d’abord, il s’agit d’une vue déficiente de la souverainté providentielle du Dieu de l’histoire. Aussi remarquable que cela puisse paraître, la main de Dieu n’est jamais loin de tout événement dans l’histoire humaine. Jésus déclare que le nombre de cheveux sur la tête d’une personne sont numérotés (Luc 12:7) et qu’un moineau ne tombe pas au sol sans le consentement de Dieu. La sagesse de l’Ancien Testament vient nous rappeler que vous pourriez lancer les dés à Las Vegas, qu’ils atterriraient là où Dieu le déterminerait (Prov. 16:33). Vos parents pourraient avoir décidé de s’installer dans le quartier où vous avez grandi étant enfant, mais comme Paul l’a dit aux Athéniens: vous êtes arrivés là parce que Dieu l’avait prévu comme devant être l’endroit le lieu et le temps pour vous permettre de vivre et de tendre la main vers lui pour le trouver comme source de votre vie. Ce n’est pas un déni de responsabilité de l’homme ou des contingences de l’histoire, mais un rappel que, dans la pensée biblique, la contingence et la liberté sont en définitive des réalités qui sont défendues, soutenues et régies par la main paternelle de Dieu. Le point important est que Dieu n’était pas plus pris au dépourvu par la naissance d’Ismaël que par Isaac. Isaac est l’enfant de la promesse, mais Ismaël n’était pas un accident. La plupart des «pro-vie» évangéliques (contre l’avortement) s’opposerait à la pensée qu’un enfant soit un accident, une erreur imprévue. Dans la souveraineté du Dieu de l’histoire, aucun enfant ne doit être considéré comme un accident, combien moins tout un peuple entier !


2. Les desseins de Dieu.

Ce genre de sentiment trahit également une vue faible de l’intention de Dieu de bénir tous les peuples à travers Abraham. L’appel originel de Dieu à Abraham dans la Genèse culmine dans la promesse de bénir Abraham de telle manière que, grâce à lui toutes les familles de la terre seraient bénies (Genèse 12:3). Dieu renouvelle sa promesse en divers endroits, en particulier dans son alliance avec Abraham et sa descendance, ou la descendance (Genèse 15:18). Paul reprend cette promesse dans son argumentation dans Galates et montre que son accomplissement ultime est venu dans le Christ, la vraie postérité d’Abraham, l’Israël fidèle par qui les bénédictions de l’alliance viendraient au monde entier (Gal. 3:15-29 ). L’intention de Dieu dans l’élection d’Israël a toujours été la bénédiction des nations et le salut du monde. Les Arabes, descendants d’Ismaël ou non, constituent une partie de cette vaste foule de «toutes les familles de la terre» que Dieu a voulu bénir par le Christ. « Tous » signifie vraiment « tous » ici. Si, par la foi, un Arabe ou un Palestinien est uni au Christ, puis dans le corps du Christ, ils « sont la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » (Gal. 3:29) dans le vrai sens du terme, car «il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a pas ni homme ni femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus» (Gal. 3:28).

Au festin des noces de l’Agneau, lorsque les membres de chaque «tribu, langue et nation» (Apocalypse 5:9; 7:9) se réuniront pour chanter les louanges du Roi, ceux rachetés d’entre les peuples arabes, descendants d’Ismaël ou non, se joindront à la même chanson, donnant gloire à Jésus d’une manière qui s’appuient sur la particularité de leur origine ethnique et raciale d’Arabes et de Palestiniens. La ligne de fond est que la pensée de tout un groupe de personnes, l’une des familles de la terre, compris principalement comme un obstacle à la paix, plutôt que comme un objet de l’amour réconciliateur de Dieu en Christ est une vue sous-chrétienne du dessein de Dieu pour les nations dans le drame de la rédemption.

Je sais que je n’ai fait que gratter la surface d’une question complexe. L’enchevêtrement de l’ethnicité, la politique du Moyen-Orient et de l’eschatologie dans l’évangélisme américain ne sera pas facile à résoudre. Ce qui me préoccupe, et doit vous préoccuper est de savoir si nous, dans l’Église avons le zèle approprié pour porter l’Évangile, en paroles et en actes, à toutes les nations et tous les peuples. Voyons-nous les gens comme des héritiers potentiels d’Abraham, comme le veut le Christ? Même les héritiers présumés d’Ismaël? Dans les générations passées, dans différentes parties du monde, l’Église a oublié, exclu ou considéré différents groupes ethniques ou culturels comme étant au-delà de la portée de l’Évangile. Cela ne doit pas être le cas avec nos voisins arabes et palestiniens aujourd’hui.

Je suppose que ce que j’essaie de dire, c’est en fin de compte, en tant que chrétien Palestinien, je ne suis pas une erreur d’Abraham: Je suis le choix de Dieu dans le Christ.

Soli Deo Gloria

Traduit par Colibri.


DerekRishmawy  is the Director of College and Young Adult ministries at Trinity United Presbyterian Church in Orange County, CA, where he wrangles college kids for the gospel. (Think non-ordained college pastor). He is the blessed husband of a lovely lady named McKenna. He got his B.A. in Philosophy at UCI and his M.A. in Theological Studies (Biblical Studies) at APU. He loves Jesus and more importantly Jesus loves Him. Throw in too many theological tomes, coffee, craft beer, loud music, a beard, and a picture (not necessarily a pretty one) starts to emerge.


You can go read his stuff at the Reformedish blog : http://derekzrishmawy.com



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